dimanche 14 juin 2009

Faux, usages de faux, crédulité : hoax, histoire, histoire des hoax

J'attire votre attention sur un site autant intéressant qu'amusant, le Museum of Hoaxes [en]. Un hoax, pour ceux qui l'ignoreraient, est « 1. un acte fait pour tromper ou abuser. 2. Quelque chose qui a été établi ou approuvé par des moyens frauduleux », nous apprend The American Heritage® Dictionary of the English Language, Fourth Edition. En gros, c'est un mensonge, une escroquerie, un attrape-nigauds. Quoique ce site du Museum of Hoaxes contienne de nombreuses histoires amusantes et intéressantes - je vous conseille notamment la section des résumés analytiques par époques - je voulais attirer votre attention en particulier sur quelques affaires de « faux et usage de faux » qui amènent à se poser de sérieuses questions...

Tout d'abord l'affaire des « Journaux Intimes d'Hitler » prétenduement trouvés en Allemagne, dans les années 1980. C'étaient des faux, assez grossiers par-dessus le marché, comme le détermina finalement l'analyse des Bundesarchiv (Archives Fédérales, l'équivalent allemand des Archives Nationales) : les journaux contenaient des matières non utilisées au temps d'Hitler, et il était assez évident qu'ils avaient été écrits essentiellement à partir d'un livre, Proclamations et Discours d'Hitler [en], reproduisant jusqu'aux erreurs de ce dernier, ce qui est assez rhédibitoire, comme le savent tous ceux qui se sont jamais fait prendre à copier sur leur voisin en classe. Mais, avant que d'être soumis à cette analyse sévère, la nouvelle de leur découverte fut publiée dans un important journal, Stern (la couverture correspondante est reproduite dans cet article de Wikipédia [en] sur l'affaire) et, plus grave, ils trompèrent dans un premier temps une série d'experts, des graphologues d'une part (deux sur les trois, sans le savoir, avaient fait leur étude en comparant les journaux avec d'autres pièces manuscrites supposées d'Hitler, mais en fait forgées par le même faussaire que pour les journaux) et deux historiens, Hugh Trevor-Roper, qui avait dirigé une enquête officielle du gouvernement britannique sur la mort d'Hitler, et Gerhard Weinberg, de l'Université de Caroline du Nord. Trevor-Roper fut impressionné par la quantité de documents représentée par les journaux (dans les cinquante volumes) : « une archive complète et cohérente, couvrant 35 années, n'est pas aussi facilement forgée [que des documents individuels] ». Weinberg, lui, estima qu'un faussaire n'aurait jamais osé mettre la signature d'Hitler sur presque toutes les pages. Enfin, d'autres personnes, dont le fondateur de Stern, estimèrent qu'un texte aussi banal que celui des « journaux intimes » - comprenant essentiellement des informations triviales et quotidiennes - était forcément véridique : « je n'aurais pas pu croire que quelqu'un se serait donné la peine de forger quelque chose d'aussi banal ». Ces erreurs d'appréciation se combinèrent avec des impératifs économiques et journalistiques - faire un scoop à tout prix - et firent que rien ne fut découvert, malgré la qualité plutôt faible des imitations, avant qu'il ne soit trop tard.

Du coup, est-ce que l'analyse chimique serait la seule solution pour passer un texte au crible ? Pas vraiment. D'une part, les Bundesarchiv ont aussi utilisé l'analyse textuelle, en déterminant que la prétendue « source première » était en fait dérivée d'une source secondaire, Proclamations et Discours d'Hitler de Max Domarus [en] (« Il nous apparut que, s'il n'y avait rien dans Domarus pour un jour donné, alors Hitler ne notait rien dans son journal. Lorsque Domarus signalait quelque chose, Hitler l'incluait dans son journal. Et lorsqu'une erreur occasionnelle apparaissait chez Domarus, Hitler répétait la même erreur »). D'autre part, une autre affaire montre que des disciplines supposément plus « dures » que l'histoire, comme l'archéologie, peuvent être trompées aussi bien, et sans pouvoir recourir à la chimie... Celle des « découvertes » d'un archéologue japonais, Shinichi Fujimura. Cela se passe non au XIXè s., époque des os d'animaux présentés comme les restes d'un homme préhistorique [fr], mais à la fin du XXè (1981-2000). Au cours de cette période, Fujimura « découvrit » de nombreux artefacts de l'âge de pierre au Japon, artefacts très anciens qui repoussaient toujours plus loin les limites de l'âge de pierre japonais et, dans un pays fasciné par sa préhistoire, suscitaient fascination et fierté locale. Ses découvertes faisaient référence : elles étaient utilisées dans les manuels scolaires et par des universitaires (certains les mettaient en doute, cependant ; voir l'article de Wikipédia [en] sur Fujimura). Fujimura devint néanmoins une star de l'archéologie japonaise. Jusqu'à ce qu'en 2000, un journal photographie Fujimura en train d'enfouir des « artefacts préhistoriques » et de creuser des « traces d'habitat préhistorique » sur un site de fouilles. Fujimura avoua alors que toutes ses trouvailles étaient des faux. Or, il est apparemment très difficile de dater efficacement des artefacts de pierre, autrement que par la strate géologique dans laquelle ils sont trouvés. La nouvelle causa une tempête : il fallut modifier les manuels scolaires, et un universitaire, Hiroshi Kajiwara, se lamenta : « mes vingt dernières années de recherches sont ruinées... ». Pour un récit des enquêtes et remises en cause qui s'ensuivirent, voir cet article de Wikipédia [en] sur le « Japanese paleolithic hoax ».

Dans la même catégorie d'erreurs archéologiques, amplifiées là encore par des besoins éditoriaux, je cite brièvement la fois où la fameuse revue National Geographic crut avoir trouvé le « chaînon manquant » entre les dinosaures et les oiseaux, qui n'était en fait qu'un collage de deux morceaux issus de fossiles différents (voir ici sur Wikipédia [en]).

Enfin, plus troublante, l'affaire de « l'histoire de la baignoire » qui mériterait d'ailleurs plus ample étude. En 1917 un obscur journaliste publia dans un journal local une « histoire de la baignoire » décrivant la difficile installation de cet accessoire sur le continent américain où auraient existé, pendant un temps, de nombreuses réticences de la part du corps médical et même des interdictions légales contre la baignoire. Ladite histoire était une blague... Mais elle fut néanmoins reprise d'ouvrage en ouvrage et d'auteur en auteur, au point de devenir une référence. En 1926 le même journaliste publia un démenti, que je vous traduis ci-dessous, car il est fort dérangeant...

« Le 28 décembre 1917, j'ai publié dans l'Evening Mail de New York [...] un article proposant une histoire de la baignoire. Cet article, je le dis tout de suite, était un tissu d'absurdités, absurdités délibérées et pour la plupart évidentes... Cet article [...] était conçu comme une plaisanterie [...]. Il fut reproduit par divers grands organes d'information, et peu après je commençai à recevoir les habituelles lettres de lecteurs. Alors, soudain, ma satisfaction se transforma en consternation. Car ces lecteurs, apparemment, prenaient mes innocentes idioties parfaitement sérieusement.
Certains, s'intéressant à l'histoire ou aux antiquités, me demandaient des lumières supplémentaires sur le sujet. D'autres m'apportaient des éléments de corroboration ! Mais le pire était à venir. Bientôt je commençai à lire mes prétendus "faits" dans les écrits d'autres personnes. Ils furent utilisés par des chiromanciens et autres escrocs pour démontrer l'idiotie des hommes de médecine. Ils furent cités par les hommes de médecine pour démontrer les progrès de l'hygiène publique. Ils s'introduirent dans des revues érudites. On y fit allusion au sein du Congrès. Ils traversèrent l'océan, et furent l'objet de débats solennels en Angleterre et sur le continent. Enfin, je les trouvai dans des ouvrages de référence. Aujourd'hui, je pense, ils sont acceptés comme parole d'évangile partout sur terre. Les remettre en question est aussi hasardeux que de remettre en question l'invasion normande [de Guillaume le Conquérant en 1066]...

« Je décris cette histoire, non parce qu'elle est singulière, mais parce qu'elle est typique. C'est à partir de telles tromperies, à mon avis, que la plupart de la soi-disant connaissance humaine s'échafaude. Ce qui naît comme une vague estimation - ou, peut-être, assez souvent, comme un mensonge délibéré - finit par devenir un fait, et est gravé dans le marbre des livres d'histoire. Souvenez-vous des folles journées de 1914-1918. Quelle portion de ce qui était alors avalé par les lecteurs de journaux dans le monde entier était vrai ? Probablement pas même 1%. Depuis la fin de la guerre des hommes érudits et laborieux se sont attachés à examiner et à dénoncer ces fictions. Mais chacune d'entre elles reste tenue pour vérité pleine et entière aujourd'hui. Mettre en question ne serait-ce que la plus absurde d'entre elles, dans presque tous les États-Unis, c'est risquer de s'entendre dénoncer comme bolchévique... La morale, s'il y en a une, je la laisse aux psycho-pathologues, si l'on peut en trouver de compétents. Tout ce qui m'importe aujourd'hui, c'est de répéter, solennellement et durement, que mon histoire de la baignoire, publiée le 28 décembre 1917, était pure idiotie. Si elle contenait des faits réels, ils étaient là par accident et contre ma volonté. Mais aujourd'hui cette histoire est dans les encyclopédies. L'histoire, a dit un
grand sage américain, n'est que stupidité.»



Quelques éléments marquants à tirer de ces affaires :

- elles permettent de voir quelles sont les effets des « pressions extérieures » (impératifs éditoriaux, engouement national...) sur l'esprit critique. Effets particulièrement effrayants, si l'on songe qu'aujourd'hui l'évaluation des universités se fait de plus en plus sur la base du nombre d'articles publiés, prix reçus, etc. : les universités risquent-elles de chercher, comme un journal, le « scoop » ? Et cela n'amène-t-il pas à faire taire les voix qui s'élèvent pour appeller à la prudence et à la retenue ?

- elles montrent l'influence, même sur des historiens ou autres universitaires, de certains raisonnements (« personne n'aurait forgé quelque chose de si ennuyeux », « c'est trop gros pour être une imitation », etc.) plus ou moins justifiés, dont il faut parfois se contenter au cours d'activités de recherche, qui comprennent une part plus ou moins grande de spéculation, mais qui peuvent aussi facilement mener droit dans l'ornière.

- elles montrent aussi que, sur ce plan-là, les « sciences dures », contrairement à l'impression générale, ne sont pas plus invulnérables que les sciences « humaines » (molles ?).

- enfin tout cela amène, une fois de plus, à se poser la question de la diffusion du savoir (ou du non-savoir), des sources, des références, etc. Et en écrivant ces lignes, je me dis que l'existence de ces hoaxes, malgré les références qui y font référence, n'est peut-être elle-même que mensonge. Ce qui signale que la mission est accomplie, mais que le résultat semble bien désespérant et paralysant.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Oyez, oyez !

Social Bookmarking